Parlement

Pour des élections anticipées dans nos Communautés et Régions

Paul Dermine est doctorant en droit de l’Union européenne à l’Université de Maastricht et membre du Groupe du Vendredi. Egalement paru dans L’Echo du 22 septembre 2017.

Il y a près de trois mois, Benoît Lutgen prenait le monde politique francophone de court en débranchant la prise des exécutifs régionaux wallons et bruxellois. Certes, la vie publique belge des dernières décennies nous avait davantage habitué à ce type d’amabilité se fasse au niveau fédéral qu’au niveau fédéré. Mais une rupture de confiance entre les partenaires d’une majorité gouvernementale, et la crise logique qui s’en suit, font finalement partie du cours normal de la vie d’une démocratie (qu’elle soit fédérale, régionale ou communautaire). Il serait inutile de s’essayer ici à la chronique politique, les événements ont déjà été (sur)abondamment commentés. Il est par contre intéressant de tenter d’entrevoir ce que cette crise, et l’issue qu’elle a trouvée, nous révèlent quant à la qualité de notre système institutionnel, et à son adéquation à la réalité politique actuelle.

Le principal constat, c’est que l’impossibilité de convoquer des élections anticipées à Bruxelles et en Wallonie, malgré le départ du cdH, a produit un résultat pour le moins surprenant, si ce n’est loufoque. Tandis qu’une majorité alternative était rapidement trouvée en Région wallonne entre libéraux et humanistes, à Bruxelles et en Communauté française, l’intransigeance d’un Défi qui surfe sur la vague semble avoir obligé le PS et un cdH pourtant en plein perte de vitesse, à demeurer assis autour de la même table jusqu’en 2019. Au niveau fédéral, et dans les entités fédérées de bien d’autres fédérations (c’est notamment le cas dans les Länder allemands), la défection d’un partenaire d’une coalition gouvernementale aurait forcément engendré la dissolution des chambres et la convocation d’élections anticipées. Pourtant les forces politiques francophones n’ont pas pu compter sur un tel rabattement des cartes, pour partir d’un nouveau pied dans un contexte politique clarifié. Au contraire, elles se sont retrouvées contraintes de jouer avec celles qu’on leur avait distribuées trois ans plus tôt en 2014.

En Belgique, les parlements des Communautés et Régions sont dits ‘de législature’, et ne peuvent donc être dissous avant que la période pour laquelle ils ont été élus (5 ans) ne se soit écoulée. Par conséquent, un gouvernement régional ou communautaire ne peut tomber que si une majorité alternative se forme au Parlement (comme cela a été le cas en Wallonie). Aussi longtemps que ce n’est pas le cas, les anciens partenaires, entre lesquels la confiance s’est entretemps irrémédiablement rompue, se retrouvent condamnés à ‘gouverner’ ensemble. Bienvenue en Absurdie !

Historiquement, cette bizarrerie est justifiée par le souci de préserver la synchronisation des cycles électoraux fédéraux et fédérés. Mais cet arrimage des entités fédérées à l’échelon fédéral a-t-il encore du sens alors que celles-ci se sont vues transférer toujours davantage de compétences au fil des réformes de l’Etat, et que le centre de gravité de l’action publique dans notre pays n’a cessé de se déplacer dans leur direction ? Si l’on attend de nos Communautés et Régions qu’elles prennent pleinement leur destin institutionnel en main, dans le cadre d’un fédéralisme mature et abouti, elles doivent alors pouvoir jouir d’un calendrier électoral et d’un cycle de vie politique propres, dont elles seraient les seules maîtresses, en toute indépendance du niveau fédéral. A l’avenir, nos entités fédérées doivent donc pouvoir se doter d’une faculté de dissolution de leurs assemblées parlementaires et de convocation d’élections anticipées, comme c’est actuellement le cas au niveau fédéral, et dans de nombreuses autres fédérations de par le monde.

Il s’agit non seulement d’une question de bon sens démocratique, mais également de lisibilité de nos structures institutionnelles, et de clarification des enjeux politiques pour le citoyen. Il y va aussi, et surtout, de l’efficacité de l’action publique que ces entités sont censées mener. A cet égard, la situation qui prévaut aujourd’hui du côté francophone est des plus préoccupantes. A Bruxelles, la défiance que se vouent PS et cdH ne semble pouvoir conduire qu’au blocage. La Communauté française, dont la crise actuelle contribue une nouvelle fois à remettre en cause le bien-fondé en tant que collectivité publique propre, pourrait ne plus être qu’un no man’s land politique durant les deux prochaines années, et ce alors que les importants chantiers, à commencer par le Pacte d’Excellence, ne manquent pas. Pourtant au vu de la conjoncture, on est en droit de se demander si les citoyens de la Région bruxelloise et de la Fédération Wallonie-Bruxelles peuvent se permettre deux ans de pétrification politique.

De l’avis unanime des constitutionalistes, une telle réforme pourraient assez rapidement être mise en œuvre. Après l’adoption d’une loi spéciale en ce sens au niveau fédéral, les entités fédérées pourraient devenir fondées, au titre de leur autonomie constitutive, à régler les modalités de dissolution anticipée de leurs assemblées parlementaires et de convocation de nouvelles élections. Une telle réforme est hautement souhaitable, et la crise francophone actuelle le montre amplement. Doter nos entités fédérées d’une temporalité politique et électorale propre, c’est les détourner de l’impasse politicienne dans laquelle le système institutionnel actuel risque de les entraîner bien malgré elles. C’est préférer l’action à la paralysie. Et c’est surtout redonner la parole aux citoyens quand le paysage politique se reconfigure. Ce qui ne peut jamais faire de mal…