Old senate debate 1

Plaidoyer pour une culture du débat

Laurent Hanseeuw est économiste et membre du groupe du Vendredi, une plate-forme de jeunes d’horizons divers, soutenue par la Fondation Roi Baudouin.

Populisme, isolationnisme, nationalisme, extrémisme, et j’en passe. Les suffixes en -isme à disposition ne manquent pas pour les journalistes politiques en manque d’inspiration. Les derniers mois d’actualité politique ont mis à rude épreuve le statuquo libéral-démocrate prédominant jusqu’alors en Occident.

Les esprits chagrins s’offusquent évidemment de la tournure grossière, voire mensongère, qu’a pris le débat public. Mais cet apitoiement collectif ne mérite pas davantage de considération que la politique de (soi-disant) bas-étage qu’il dénonce. Vilipender les populistes s’apparente presque à tirer sur le messager. C’est la lame de fond et les sous-jacent de ces changements politiques qu’il faut comprendre pour éventuellement y parer.

Depuis un certain temps déjà, des explications à caractère économique ont été avancées, telle que la croissance des inégalités et la stagnation des revenus médians dans les pays occidentaux (voir à ce sujet la carte blanche de mon collègue Thomas Dermine avec Jean-Pierre Hansen dans ce journal). Mais le malaise avec la réalité politique dans nos démocraties ne se limite pas aux seules préoccupations pécuniaires.

Nos sociétés ont connu des transformations drastiques, sur tous les plans (économiques, démographiques, sociologiques, etc.), durant les dernières décennies. S’il est parfaitement légitime de considérer celles-ci comme positives, il est également tout à fait recevable de percevoir des écueils à ces transformations. Pourtant, sur un certain nombre (grandissant) de sujets, nos espaces médiatiques ont développé un certain nombre de tabous politiques, difficilement abordables sereinement dans le champ médiatique institutionnel. Pire, dans un certain nombre de cas, nos Etats ont (ré-) institués le délit d’opinion de sorte que ceux qui osent émettre des opinions proscrites se voient poursuivis, et parfois condamnés.

Lorsqu’un politicien français se voit condamné pour avoir affirmé que l’homosexualité est une abomination, il s’agit bien d’un délit d’opinion (qui est par ailleurs une citation du lévitique). A l’opposé de l’échiquier politique, lorsque de nombreux politiciens ou commentateurs belges accusent le PTB de stalinisme collectiviste, il s’agit d’une tentative de discréditation d’une proposition simplement radicalement re-distributrice. Enfin, lorsque les libéraux-démocrates prétendent qu’on va droit à la guerre avec l’élection de Trump alors que son programme est pourtant ouvertement isolationniste et prônant la conciliation avec le principal « adversaire » des Etats-Unis, à savoir la Russie, alors que de nombreux points du programme de Clinton prônait l’affrontement, on commence à être en droit de s’interroger sur la source du populisme. Dans le même temps, on s’accommode par contre d’un gouvernement voulant régir les tenues de plage, comme si cela ne reflétait pas un caractère autrement plus « populiste », rétrograde et, de fait, liberticide du rôle de l’Etat.

Depuis trop longtemps, le cœur de nos démocraties, les partis et commentateurs « centristes », qu’ils soient libéraux, chrétiens-démocrates, écologistes ou socialistes, se complait dans une restriction toujours plus grande du débat public où certains principes de base ne peuvent plus être discutés. Si l’on peut défendre cette approche vis-à-vis de positions extrêmes (appel au meurtre ou à la violence), l’étendue avec laquelle cette approche est dorénavant appliquée fait qu’un certain nombre de sujets méritant un débat ne peuvent en faire l’objet. Et, inévitablement, si les hommes de bonne volonté se refusent à considérer une question, des esprits hagards s’en empareront. En bref, il est un tort de laisser à la seule Marine Le Pen le monopole du débat sur la pertinence de l’Euro ou à Trump celui de nos errements sur la politique au Moyen-Orient (ou des bienfaits du libre-échange).

Le populisme grossier, misogyne, au relent raciste que la majorité d’entre nous regrettent est le résultat, entre autres, de notre refus de considérer comme recevable des débats qui devraient l’être.Les idées que l’on pense néfaste pour nos sociétés doivent être combattues par la force de conviction d’une argumentation construite et non par des lois liberticides ou de l’intimidation. Cela requiert tant une capacité de repenser nos acquis qu’une nécessité de cohérence dans nos principes établis. Il nous faut davantage embrasser le débat des idées si nous ne voulons pas être les fossoyeurs de notre liberté.