Change

Que requiert le changement ?

Thomas Dermine est économiste et membre du groupe du vendredi. Egalement paru dans L’Echo du 19 juin 2017.

Pourquoi certains changements se produisent et d’autres pas ? Pourquoi la réforme des polices a-t-elle pu être bouclée en moins de 4 mois il y a 20 ans alors que celle des pensions traine depuis 20 ans ou que le Pacte pour un enseignement d’excellence, lancé en 2014, peine tellement à atterrir ? Les enjeux et les acteurs sont différents mais la criticité d’un changement est comparable.

La même question vaut pour les villes. Pourquoi certaines villes ont-elles entamé des mutations incroyables (New York, par exemple) alors que d’autres semblent étouffées dans leur immobilisme ? En fait, cette question vaut pour tous les systèmes humains complexes que ceux-ci soient des entreprises, des villes ou des états.

On peut évidemment croire au talent d’un homme ou d’une équipe. Le génie politique du gouvernement Dehaene pour la réforme des polices ou le leadership visionnaire de Giuliani et Bloomberg à New York. Peut-être. Mais c’est donner beaucoup trop d’importance aux acteurs et pas assez au contexte dans lequel s’inscrit le changement quand il survient.

Pour subir une évolution majeure, un système doit subir un électrochoc et au plus le système est complexe, au plus ce choc doit être fort. Le système doit être confronté à une crise majeure qui le fait atteindre ses limites et expose l’opinion publique dans un trauma collectif. L’affaire Dutroux pour la réforme des polices. Le 11 septembre 2001 pour New-York.

Mais un électrochoc seul n’est pas suffisant. Les attentats du 22 mars 2016 par exemple n’ont pas conduit à une refonte politique profonde à Bruxelles. Pour qu’un changement réel survienne, il faut que l’électrochoc soit suivi immédiatement d’une lueur d’espoir qui donne aux citoyens la possibilité de croire au changement. D’un nouveau narratif qui lui procure le sentiment que l’impossible est possible. La capacité des décideurs à utiliser les moments de crise pour articuler une vision commune d’un demain qui sera meilleur qu’aujourd’hui est donc critique pour concrétiser le changement.

Charleroi est un bon exemple d’une ville qui rencontre ces deux conditions. Un électrochoc d’abord : la fermeture de Caterpillar, un drame social sans précédent et la prise de conscience que le statu quo n’est simplement plus une option. Une lueur d’espoir ensuite : la matérialisation de plusieurs projets urbains d’envergure et une amorce de reconversion dans des nouveaux secteurs. Résultat : une ville qui se relève et des citoyens qui portent collectivement un projet et une identité.

La situation politique en Belgique francophone amène à une autre analyse. Un électrochoc. C’est indéniable. D’une puissance rarement atteinte. Du Samusocial à Publifin en passant par l’ISPPC, la crise politique est partout. Aucune région n’est oubliée. Aucun parti n’est épargné. Cependant, la vision d’un demain enchanteur qui pourrait catalyser un vrai changement se fait toujours attendre… Peut-être parce qu’il ne reste que peu d’acteurs dont la crédibilité n’a pas été écornée et qui aient la virginité pour entamer ce travail. Il en faudrait pourtant. Sans cela, la crise va passer et le système reprendra vite ses (mauvaises) petites habitudes. L’électrochoc n’aura été qu’une occasion manquée de changement en profondeur. La crise servira les extrêmes qui, eux, pourront apporter des fausses réponses aux vrais problèmes actuels. Non pas pour changer le système mais pour le détruire…