Fusion

Paysage universitaire, arrêtons les combats d’un autre âge !

Par Yves-Alexandre de Montjoye et Thomas Dermine, Membres du Groupe du Vendredi

Juste avant les vacances, la décision des conseils d’administration de l’Université catholique de Louvain et des Facultés Universitaires Saint-Louis d’unir leurs destinées faisait débat, un “pilier” accusant l’autre de privilégier un “rapprochement confessionnel”. Au moment où l’on pensait cette logique dépassée, morte et enterrée avec la Belgique de papa, les vieux réflexes reviendraient-ils au galop ? A y regarder de plus près, l’argument usé des piliers cache en fait mal la question de la concurrence entre universités, en particulier à Bruxelles : y a-t-il place pour deux universités à Bruxelles, chacune tentant librement d’attirer vers elle étudiants et chercheurs ? Ou cette proximité géographique va-t-elle au contraire générer une concurrence stérile nécessitant une intervention du pouvoir politique et une stricte division territoriale (l’ULB à Bruxelles, l’ULg à Liège, l’UCL à Louvain-la-Neuve, ...) ?

Carolo de l’ULB (Thomas) et Liégeois de l’UCL (Yves-Alexandre), nous avons attendu d’avoir tous les deux déménagé à 5000 kilomètres de la Belgique pour nous rencontrer. Notre ville d’adoption, Boston, le berceau des Red Sox et de la révolution américaine est aussi un exemple de réussite économique et de saine concurrence entre universités.

Un récent recensement montre que la ville, capitale d’un état de 6.8 millions d’habitants, abrite à elle seule pas moins de 23 universités : Boston University, Northeastern, Tuft University, etc mais aussi, séparées par moins de deux kilomètres, deux des universités parmi les plus renommées au monde : Harvard et le MIT. Pas de délimitation territoriale à Boston. Au contraire, une concurrence saine entre universités avec des collaborations comme le fameux Broad Institute entre Harvard et le MIT sur la génétique ou avec la Boston Law School sur la protection de l’innovation étudiante a fait de la ville un pôle d’excellence à l’échelle internationale notamment en biotech. Le même constat peut être fait en regardant un autre centre mondial d’excellence en termes de recherche : Londres et ses alentours. Ici aussi, la concurrence entre universités, pourtant financées en grande partie par l’état anglais, permet de trouver à moins de cent miles l’une de l’autre les universités de Cambridge et d’Oxford ainsi que l'Imperial College et l’University College London toutes parmis les 10 meilleures universités au monde. Leur proximité géographique et la concurrence entre elles et même entre leurs ‘colleges’ indépendants, par exemple ⁠⁠⁠Magdalen et Christ Church à l’université d’Oxford, font du grand Londres une des régions les plus innovantes au monde.

La Belgique et Bruxelles ne sont pas Boston ou Londres, mais la tournure du débat actuel en Fédération Wallonie-Bruxelles nous inquiète. L’idée que la présence de deux universités francophones à Bruxelles puisse générer une concurrence stérile nécessitant absolument, sous couvert de lutte entre les piliers, une stricte planification territoriale par l’Etat apparaît, au mieux, comme surannée.

Tout d’abord, une division territoriale dans une région qu’on peut traverser d’un bout à l’autre en moins de deux heures en train est absurde. Les universités belges attirent des étudiants provenant de toute la fédération, le choix de ceux-ci se faisant autant en fonction des pédagogies d’enseignement et des filières de spécialisation propres à chaque université qu’en fonction de critères de proximité géographique. Une mise en concurrence, si elle est accompagnée d’une réglementation bien conçue s’assurant que les universités remplissent leurs missions d’enseignement, de recherche et de service à la société, stimule la qualité des universités tant en recherche qu’en enseignement. Elle permet à celles-ci d’innover, notamment dans de nouvelles méthodes d’enseignement telles que les MOOCs, et de créer un effet de réseau comme à Londres ou à Boston.

Dresser des murs dont la porosité est avérée apparaît encore plus anachronique que la vraie concurrence se situe à l’international. La science est par nature internationale et les chercheurs sont de plus en plus mobiles et prêts à s’expatrier. Les statistiques montrant cette mobilité sont nombreuses mais la plus frappante nous est venue de Stockholm, l’année dernière, quand l'entièreté des 6 prix nobels américains ont été attribués à des chercheurs nés à l’étranger (au grand dam du narratif politique de Donald Trump). Mais cette mobilité ne se limite plus aux chercheurs. A l’Imperial College de Londres, 67% des étudiants en bachelier et master viennent déjà de l’étranger. Au MIT, 42% des doctorants sont internationaux, la majorité des 58% restant venant d’un autre état que le Massachusetts. En Belgique aussi, de plus en plus d’étudiants--souvent ceux dont les parents disposent de plus de moyens financiers-- n’hésitent pas à s’expatrier après leur bachelier.

Dans ce contexte, et au lieu de querelles stériles, il est grand temps de travailler ensemble à un plan de soutien à nos universités leur permettant d’être attractives internationalement. Pas question ici, alors que Valérie Pecresse vient constater les bienfaits de l’autonomie de nos universités, d’une planification d’état limitant la concurrence à Bruxelles mais bien d’aborder honnêtement et sans tabou les difficiles questions du financement de nos universités. Sans rentrer dans les détails, il est inquiétant de voir le financement par élève des universités Belges être en diminution constante depuis 30 ans et à enveloppe fermée alors même que des pays comme l’Allemagne ont commencés il y a 10 ans à investir massivement pour aider leurs meilleures universités à être présentes sur la scène internationale. Une ‘Excellence Initiative’ qui commence déjà à porter ses fruits.

Nos universités constituent le socle le plus solide pour assurer notre présence dans l’économie de la connaissance et jouent depuis toujours un rôle crucial d’ascenseur social. On se rappelle avec fierté les fameuses conférences ‘Solvay’ qui, au tournant de la seconde révolution industrielle entre 1911 et 1927, regroupaient à Bruxelles autour d’Ernest Solvay les plus grands scientifiques de l’époque (dont entre autres Marie Curie, Niels Bohr, Erwin Schrödinger et Albert Einstein). La tenue de ces conférences en Belgique et, dans leur sillage, la création de pôles de recherche de premier plan ont permis à notre pays d’être un pionnier dans des secteurs industriels porteurs et pourvoyeurs d’emplois qui ont fait et font toujours notre prospérité. A l’aube d’une nouvelle révolution industrielle, le fameux ‘deuxième âge de la machine’, l’excellence de nos institutions académiques sera essentielle pour accompagner la transition industrielle et assurer la pérennité de l’emploi et de notre modèle social. Ne laissons pas des combats et conceptions d’un autre âge nous en empêcher.