Wedding

La télévision belge organise-t-elle des mariages de complaisance ?

Nicolas Van Damme est assistant-doctorant à l'institut pour le droit des contrats de la KU Leuven et prépare une thèse sur la fraude à la loi en droit privé. Une contribution pour le Groupe du Vendredi, également parue dans L'Echo du 12 octobre 2012.

RTL TVI diffuse actuellement l'émission 'Mariés au premier regard', pendant francophone du l'émission populaire 'Blind getrouwd' diffusé en Flandre par VTM. Le concept est simple : sélectionnés par trois experts, des inconnus se rencontrent pour la première fois à la maison communale, le jour de leur mariage. Le passage par la maison communal est un passage obligé puisque le mariage n'existe légalement que s'il est célébré par un officier d'état civil. Au bout de plusieurs semaines, les participants devront décider s'ils restent ensemble ou non (et donc s'ils choisissent ou non de divorcer). Bien qu'au départ l'émission n'a suscité que peu de réactions du côté flamand, des réticences se manifestent aujourd'hui suite au refus de participation à l'émission francophone d'Olivier Maingain, bourgmestre de la commune de Woluwe-Saint-Lambert. Suite à ce refus, c'est au tour du ministre de la Justice, Koen Geens, d'émettre des doutes quant au concept du 'mariage célébré à l'aveugle'.

Le mariage est une institution juridique par laquelle par laquelle deux personnes s'engagent librement dans le but de créer une communauté de vie durable.

A notre avis, ce n'est toutefois pas seulement au niveau du libre consentement des parties que l'émission pose question. Le vrai problème est l'utilisation spécifique du mariage dans le cadre d'une émission télévisée commerciale. Le mariage est en effet une 'institution juridique', c'est-à-dire un ensemble de règles de droit relatives à un même objet et formant un instrument juridique structurel ordonné à la réalisation d'une même finalité spécifique. En clair, l'institution n'existe (c'est-à-dire ne crée des droits et des devoirs) que dans la mesure où elle est utilisée pour ce à quoi elle sert. Or, le mariage sert précisément (exclusivement et uniquement) à la création d'une communauté de vie durable et affective. Si le mariage est conclu dans un autre but, il est alors détourné de sa finalité ou 'utilisé de façon abusive'. Et si c'est le cas, il n'y a en réalité pas de mariage, puisque ce dernier n'est pas valable. On parle alors de 'mariage fictif' ou 'mariage de complaisance'.

Ces notions ne sont pas inconnues du grand public. Ce raisonnement se trouve à la base des nombreux litiges concernant des mariages conclus entre Belges et étrangers dans le seul but d'obtenir un droit de séjour en Belgique. La Belgique mène une politique active dans ce domaine en refusant la célébration du mariage lorsqu'une combinaison de circonstances permet d'établir le caractère fictif du mariage.Est-il justifié de traiter différemment les participants à une émission télévisée d'une chaîne commerciale? Absolument pas. Lorsque les participants à ce genre d'émission se rencontrent pour la première fois devant l'officier d'état civil, ce n'est, à ce moment-là, certainement pas pour créer une communauté de vie durable. Ils se trouvent là parce qu'ils s'y sont engagés vis-à-vis de la chaîne de télévision. Ils se sont engagés à s'unir avec une personne inconnue avec qui ils vont tenter l'aventure d'une communauté de vie. Dans les termes du ministre de la Justice Koen Geens : « Le mariage n'est pas une institution de recherche ou une phase de test ». Le mariage est détourné de sa finalité au profit d'autres fins (commerciales et récréatives).

Lorsque l'objectif du mariage est d'obtenir le séjour en Belgique- et qu'il est donc qualifié de "fictif", les juristes parlent de fraude (à la loi) : les personnes présentent comme un mariage ce qui ne l'est manifestement pas. Ils utilisent le concept pour d'autres fins que celles pour lesquelles il a été institué. 'Mariés au premier regard' se rend coupable d'une fraude identique. Indépendamment des objections d'ordre moral que l'on pourrait avoir à l'égard de cette utilisation (abusive) du mariage et indépendamment des divorces inutiles (et de leur coût) qui pourraient en découler, RTL TVI et VTM organisent des mariages fictifs (et donc la fraude au droit du mariage).

Lorsque l'officier d'état civil est confronté à une demande de célébration de mariage entre deux inconnus qui se rencontrent pour la première fois à cette occasion dans le cadre d'une émission télévisée, il n'a pas le choix : le refus s'impose. Afin de préserver la crédibilité de l'état de droit, il convient en effet d'agir avec la même fermeté contre les mariages fictifs conclus dans le cadre d'une émission ludique que contre les mariages fictifs conclus en vue d'obtenir un droit de séjour. L'application du droit s'impose à tous de manière égale et indépendante. En effet, toute fraude (à la loi) est intolérable.

Écrit par

  • Nicolas Van Damme

    Nicolas Van Damme

    Assistant-doctorant à l'institut pour le droit des contrats de la KU Leuven et prépare une thèse sur la fraude à la loi en droit privé.