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Ivres de mesures symboliques

Brieuc Van Damme est économiste, président du Groupe du Vendredi et a conseillé pendant 5 ans les Ministres Alexander De Croo et Maggie De Block sur les questions de santé. Il habite désormais en Norvège et écrit en son nom. Cet article est également paru dans L’Echo du 8 décembre 2016.

Il y a quelques semaines, nous avions initié des amis Norvégiens aux plaisirs d'un repas belge : une trappiste à l’apéritif, du vin blanc avec le poisson, du vin rouge avec la viande, et un bon genièvre pour aider à digérer tout cela. Surpris par une telle profusion d'alcool à table, il n’a pas fallu longtemps pour que les Norvégiens, réputés pour leur sobriété culinaire, comparent la culture belge de la boisson à la leur.

En Norvège, toutes les boissons titrant plus de 5 % d'alcool en volume ne peuvent être vendues que par l’organisme d'État qui détient le monopole, et dont les succursales sont rares. L’achat d'alcool le week-end doit être effectué avant le samedi à 15 h, et aucune goutte d’alcool n’est disponible en magasin les jours d’élections. Les happy hours sont interdites, et l'importation d'alcool et de tabac à des fins personnelles strictement réglementée.

En tant que libéral et épicurien, je n’ai pu m’empêcher de réprouver ce paternalisme à table. Mais à ma grande surprise, nos hôtes libres d’esprit soutenaient totalement cette politique. Ils nous ont expliqué que lors des fêtes et réceptions, les Norvégiens vident toutes les bouteilles qu’ils peuvent trouver, et que nombreux sont ceux qui s’enivrent le week-end. « Sans toutes ces limitations, la situation serait encore pire », conclurent-ils résolument.

Mais est-ce bien le cas ? Selon la littérature scientifique, limiter l’offre constitue un moyen efficace de contrôler la consommation d'alcool. En effet, selon l'OMS, le Belge libre boit l'équivalent de 10 litres d'alcool pur par an, contre près de 8 litres pour le Norvégien contrôlé. D'autre part, la consommation moyenne d'alcool en Belgique a diminué de 4 litres depuis 1980, alors que celle des Norvégiens a augmenté de 3 litres. Et en ce qui concerne la dépendance à l'alcool, la Norvège compte, avec 7,4 %, près de 60 % de dépendants en plus que la Belgique.

Ce n’est donc pas tant la quantité d'alcool que nous buvons qui est importante, mais la façon dont nous le consommons – autrement dit, la culture de la boisson. Par exemple, le régime méditerranéen contient plus d'alcool (vin), mais génère moins de dépendances.

Mais coupons court à tout malentendu : avec plus de 170 000 années de vie perdues et un coût total de plus de 2 milliards d’euros par an (UGent et VUB, 2015), l'abus d'alcool constitue un problème social majeur dans notre pays. Les citoyens attendent que les problèmes soient traités, mais ne veulent pas être dupés par des mesures symboliques de politiciens ayant un faible pour le profilage gratuit. Dans la sphère privée, ils attendent une ingérence minimale des autorités et une autodétermination maximale, je pense. Les critiques du Ministre fédéral de la Santé publique Maggie De Block pensent-ils vraiment que nous allons lutter contre la dépendance à l'alcool dans notre pays avec une interdiction des canettes de bière dans les distributeurs automatiques ? Croient-ils que les conducteurs ivres descendent d’abord un six-pack dans la station-service avant de foncer dans un arbre le dimanche matin?

Cependant, il y a un certain nombre de choses que nous pouvons faire pour lutter efficacement contre l'abus d'alcool et les coûts sociaux connexes qui, selon le Bureau Central du Plan aux Pays-Bas, sont supérieurs aux recettes provenant des accises. Une tolérance zéro au volant peut générer le revirement nécessaire dans notre inquiétante culture de l'alcool au volant. En outre, la recherche scientifique a montré qu'une hausse des accises, en particulier sur les boissons (fortes) les moins chères et sur des produits populaires auprès des jeunes, conduit à une baisse de la consommation, même chez les consommateurs problématiques. Des services d’aide aisément accessibles, tels que les services de prise en charge des addictions et d’assistance psychologique, éventuellement en combinaison avec de nouveaux médicaments, peuvent quant à eux offrir une perspective aux personnes dépendantes.

Mais je doute que nous les Belges soyons prêts à renoncer à notre mode de vie épicurien, et ce ne sont pas nos amis norvégiens qui s’en plaindront.