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Abattez les murs entre les communautés linguistiques au sein de l’enseignement bruxellois

Brieuc Van Damme et Thomas Dermine sont auteurs du rapport « Tear down this wall ! » sur la ségrégation linguistique de l’enseignement à Bruxelles et membres du Groupe du Vendredi. Egalement paru dans L’Echo du 9 juin 2017.

Un mur de 2 kilomètres de long traverse Bruxelles. Pour beaucoup, il est invisible, et pourtant, il est bien réel. Il y a deux ans environ, lorsque nous sommes parvenus à mettre la main sur les coordonnées géographiques de toutes les écoles bruxelloises, nous nous sommes rendu compte que 45 écoles avaient littéralement été scindées en deux, suite à l’introduction des 2e et 3e réformes de l’État et la communautarisation de l’enseignement. Les adresses sont souvent différentes : l’une est au 2 de l’Avenue des Magnolias, l’autre au 4 de Magnolialaan mais les bâtiments, eux sont toujours communs. Cependant, des murs, des barrières, et des lignes rouges, divisent les cours de récréation, les réfectoires, et les couloirs. Des écoles anciennement unifiées ont été littéralement partitionnées : une partie pour les élèves de l’enseignement francophone, l’autre pour ceux de l’enseignement néerlandophone.

Parce que soumises à des tutelles différentes, ces écoles « bâtardes » sont forcées à ne devenir que de simples voisines, hermétiques l’une à l’autre alors qu’il y a peu elles partageaient une cour de récréation, ou encore une salle de gym. Navrant pour le sens de l’ouverture que l’on donne à nos enfants et une occasion manquée pour une région qui vante son multilinguisme comme une des armes pour le futur et un atout de sa compétitivité.

Bien entendu, dans les années 70 et 80, il existait certainement de bonnes raisons de communautariser l’enseignement (bruxellois) et, en conséquent, de mettre en place un réseau néerlandophone et un réseau francophone. Mais depuis, la sociologie de la ville et de ses enfants a changé. La question n’est plus simplement entre le néerlandais et le français. Avec la part croissante d’enfants qui ne parlent aucune de ces deux langues à la maison et le rôle renforcé de l’anglais dans la société actuelle, il existe aujourd’hui des arguments valables pour lancer le débat sur la mise sur pied d’un enseignement réellement multilingue au sein de la Région Bruxelles Capitale : un système d’enseignement qui voit la diversité linguistique de Bruxelles comme une richesse à cultiver et non pas comme une raison pour élever des murs entre des enfants.

Et le temps presse. Comme l’a démontré notre enquête de terrain, la situation actuelle conduit à un florilège de situations absurdes dont les enfants et les enseignants sont les premières victimes. Une école souhaite organiser sa fête en collaboration avec une autre école de la rue ? Elle perd alors ses subsides. S’allier pour négocier un meilleur contrat avec une entreprise de maintenance ? Impossible. Nommer un diplômé en philologie germanique agrégé de la VUB dans une école bruxelloise francophone ? Tout aussi impossible, alors que l’enseignement francophone est justement confronté à une pénurie de bons professeurs de néerlandais. Et ainsi de suite.

Et pourtant, il ne faut pas grand-chose pour remédier à cet apartheid kafkaïen de l’enseignement. Les ministres Marie-Martine Schyns et Hilde Crevits pourraient simplement commencer par « prendre un café » avec les directeurs de quelques écoles bruxelloises.

Comme en attestent les témoignages consignés dans une courte vidéo sur notre site web, elles devraient en ressortir avec une longue liste d’absurdités que pourraient résoudre quelques petites adaptations du cadre législatif actuel. Cela permettra d’alimenter un peu l’agenda jusqu’ici plutôt maigre (pour ne pas dire famélique !) de la conférence interministérielle de l’enseignement, récemment constituée. Les discussions fondamentales, sur l’enseignement, le déficit de financement entre les systèmes, et la réorganisation de l’utilisation des langues dans l’enseignement bruxellois, suivront d’eux-mêmes. À condition toutefois, que le café soit assez fort !